mardi 13 mai 2014

Marine Le Pen et l'Union Européenne: un discours émotionnel


L’autre sujet abordé le 10 avril dernier lors de l'émission « Des Paroles et des actes » est l’Europe, qui est, selon Marine Le Pen, la grande responsable de la crise française.

1.  La personnification et l’hyperbole : des mots pour faire peur.

La grande caractéristique du discours de Marine Le Pen est son ancrage dans l’émotion et l’éviction de l’analyse rationnelle.

Cela est tout à fait notable lorsqu’elle évoque l’Union Européenne qui est, on le sait, sa bête noire. Ce qui est intéressant, sur le plan de son discours, c’est qu’elle l’évoque avec un vocabulaire imagé et hyperbolique pour susciter la peur et la pitié.

Elle tient ainsi un discours de la terreur, en faisant de l’Europe « une machine à broyer », qui vise à « détruire les peuples ». L’Europe est alors une arme destructrice de laquelle il faut se défendre sous peine de mort. L’Union Européenne est également un « cauchemar » (elle le répète deux fois), une « folie » et l’euro est une « dinguerie ». Marine Le Pen cherche ainsi à susciter la peur et inscrit son discours dans l’émotion et non dans un champ rationnel.

Mais c’est aussi un discours du pathos dans lequel les peuples européens sont personnifiés et présentés comme des victimes à l’agonie. Elle déclare en effet qu’elle n’a «pas envie de voir (son) pays mourir » ou encore le voir «souffrir». De la sorte, Marine Le Pen crée un tableau pathétique, figurant l’Europe comme un être à l’agonie et partant, provoque la pitié de son auditoire.
À nouveau, elle évacue le discours rationnel pour ancrer son propos dans l’émotion. Ce qu’elle cherche, c’est à neutraliser la réflexion et l’analyse de la situation de l’Europe pour tétaniser son auditoire.

Enfin, ayant créé terreur et pitié, il ne lui reste plus qu’à se présenter en sauveur. C’est là qu’intervient le champ lexical de la religion dans lequel elle inscrit son discours.
Elle commence de façon ironique avec l’euro comparé à une « religion », affirmant que certains « en parlent religieusement » et que la sortie de l’euro est perçue par les euro-convaincus comme « l’Apocalypse selon Saint Barroso ». Cette dernière tournure est bien évidemment ironique : elle imite un titre évangélique et l’applique à un personnage politique contemporain qui aurait un caractère de sainteté. C’est du dénigrement, cela s’entend.
Mais ce qui est très surprenant – et presque amusant- c’est que tout en ironisant sur le caractère religieux que certains confèrent à l’euro, elle s’exprime elle-même en imitant les paroles christiques : « Alors, aujourd’hui, je viens vous le dire, c’est nous qui allons sauver les peuples européens ». On reconnaît le Nouveau Testament avec la fameuse tournure « En vérité, je vous le dis » des évangiles. Ce qui semblait précédemment ironique est en réalité le registre dans lequel Marine Le Pen enserre l’auditeur.
Dans sa phrase, elle utilise une tournure emphatique en «c’est nous qui...» pour mettre en avant le Front National et le distinguer des autres partis. Elle insiste même à travers une autre tournure emphatique : « la seule qui pourrait les sauver (les peuples européens), c’est moi ».
Elle se présente ainsi comme le héros providentiel, le personnage politique perçu comme la seule alternative à la crise…
Or cette figure n’est pas exactement un motif démocratique.


 2. Le « vous » accusateur mais indistinct.

L’autre objectif de Marine Le Pen est de cibler l’attention de l’auditeur sur un coupable. Cela se traduit par l’emploi répété de « vous », mis en sujet d’un verbe au passé composé : « vous avez transféré », « vous avez imposé », «vous vous apprêtez», « vous avez élargi l’UE ».

Avec le temps composé, elle fait le bilan de l’action passée et avec le « vous », elle pointe du doigt un coupable. Mais ce coupable est indistinct et son interlocuteur, Alain Lamassoure, tête de liste UMP aux européennes, n’a pas manqué de le relever en lui demandant de façon faussement naïve : « Vous vous adressez à qui ? ».
En fait, comme d’habitude, Marine Le Pen associe l’UMP et le PS avec une expression qu’elle répète deux fois : «l’UMP et le PS, main dans la main» ou avec la coordination « l’UMP et le PS ». Le tête de liste UMP aux européennes n’a pas manqué de souligner les absences de Marine Le Pen à l’Assemblée européenne, ce  qui soulignerait qu’elle ne s’est pas opposée aux projets des députés UMP et PS...


3. Des énumérations fleuve : la sortie de l’euro comme réponse à tous les maux… de la France.

En outre, pour Marine Le Pen, la solution à la crise française est simple : sortir de l’euro. L’énumération, doublée de  la répétition, lui permet d’en faire le remède magique.


Tout d’abord, elle met « la monnaie unique » en position sujet repris par le pronom « qui » répété cinq fois : «qui a été une erreur absolue, qui a poussé aux délocalisations de nos entreprises, qui a désindustrialisé notre pays (…), qui est la raison de l’aggravation spectaculaire de nos déficits». L’accumulation privilégie la quantité plutôt que l’analyse du propos.

On retrouve le même procédé avec les raisons pour lesquelles il faut sortir de l’euro : « car il faut relancer l’économie, car il faut relancer l’emploi (…), car il faut créer de la richesse ». Et elle défend de la même manière le retour au franc : « parce que ça a toujours fonctionné comme ça, (…) parce que notre monnaie sera adaptée à notre économie, à notre emploi, parce que nous allons relancer les exportations, parce que nous ferons du patriotisme économique, parce que nous mettrons en place un protectionnisme intelligent ».
On est bien davantage marqué par la quantité des « car » ou « parce que » que par le contenu réel du propos de Marine Le Pen. L’accumulation souligne la multiplicité des raisons pour lesquelles il faut sortir de l’euro selon elle mais la lourdeur de la répétition traduit sa stratégie : la quantité plutôt que la qualité.
Et puis, bien sûr, on est sensible au glissement sémantique : on passe de la « monnaie » française, au «patriotisme économique» et au «protectionnisme intelligent » de la France. Il y a là un double glissement : i) de l’Europe à la France ; ii) de la monnaie au protectionnisme. Ce glissement traduit le néant du projet de Marine Le Pen pour l’Europe, lequel se réduit au repli de la France sur elle-même.

On ne peut s’empêcher de relier cela à une autre idée énoncée un peu plus tôt : « je suis clairement pour faire des économies notamment sur l’immigration vous le savez, dont je considère que le coût est considérable ».

Le projet de Marine Le Pen pour l’Europe, c’est donc un repli de la France franco-française sur elle-même.



Article à paraître en juin dans la revue de Paul Ariès, les Z'indignés (http://www.les-indignes-revue.fr)








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