L’autre sujet
abordé le 10 avril dernier lors de l'émission « Des Paroles et des actes » est
l’Europe, qui est, selon Marine Le Pen, la grande responsable de la crise
française.
1. La personnification et l’hyperbole : des
mots pour faire peur.
La grande
caractéristique du discours de Marine Le Pen est son ancrage dans l’émotion et
l’éviction de l’analyse rationnelle.
Cela est tout à fait
notable lorsqu’elle évoque l’Union Européenne qui est, on le sait, sa bête
noire. Ce qui est intéressant, sur le plan de son discours, c’est qu’elle
l’évoque avec un vocabulaire imagé et hyperbolique pour susciter la peur et la
pitié.
Elle tient ainsi un
discours de la terreur, en faisant de l’Europe « une machine à
broyer », qui vise à « détruire les peuples ». L’Europe est
alors une arme destructrice de laquelle il faut se défendre sous peine de mort.
L’Union Européenne est également un « cauchemar » (elle le répète
deux fois), une « folie » et l’euro est une « dinguerie ».
Marine Le Pen cherche ainsi à susciter la peur et inscrit son discours dans
l’émotion et non dans un champ rationnel.
Mais c’est aussi
un discours du pathos dans lequel les peuples européens sont personnifiés et
présentés comme des victimes à l’agonie. Elle déclare en effet qu’elle n’a
«pas envie de voir (son) pays mourir » ou encore le voir «souffrir». De la sorte, Marine Le Pen crée un tableau pathétique,
figurant l’Europe comme un être à l’agonie et partant, provoque la pitié de son
auditoire.
À nouveau, elle évacue le discours rationnel
pour ancrer son propos dans l’émotion. Ce qu’elle cherche, c’est à neutraliser
la réflexion et l’analyse de la situation de l’Europe pour tétaniser son
auditoire.
Enfin, ayant créé
terreur et pitié, il ne lui reste plus qu’à se présenter en sauveur. C’est là
qu’intervient le champ lexical de la religion dans lequel elle inscrit son
discours.
Elle commence de façon ironique avec l’euro
comparé à une « religion », affirmant que certains « en parlent
religieusement » et que la sortie de l’euro est perçue par les euro-convaincus comme « l’Apocalypse selon Saint Barroso ». Cette dernière
tournure est bien évidemment ironique : elle imite un titre évangélique et
l’applique à un personnage politique contemporain qui aurait un caractère de
sainteté. C’est du dénigrement, cela s’entend.
Mais ce qui est
très surprenant – et presque amusant- c’est que tout en ironisant sur le
caractère religieux que certains confèrent à l’euro, elle s’exprime elle-même
en imitant les paroles christiques : « Alors, aujourd’hui, je viens
vous le dire, c’est nous qui allons sauver les peuples européens ». On
reconnaît le Nouveau Testament avec la fameuse tournure « En vérité, je
vous le dis » des évangiles. Ce qui semblait précédemment ironique est en
réalité le registre dans lequel Marine Le Pen enserre l’auditeur.
Dans sa phrase, elle utilise une tournure
emphatique en «c’est nous qui...» pour mettre en avant le Front
National et le distinguer des autres partis. Elle insiste même à travers
une autre tournure emphatique : « la seule qui pourrait les sauver
(les peuples européens), c’est moi ».
Elle se présente ainsi comme le héros
providentiel, le personnage politique perçu comme la seule alternative à la
crise…
Or cette figure n’est pas exactement un motif démocratique.
2. Le « vous » accusateur mais
indistinct.
L’autre objectif
de Marine Le Pen est de cibler l’attention de l’auditeur sur un coupable. Cela
se traduit par l’emploi répété de « vous », mis en sujet d’un verbe
au passé composé : « vous avez transféré », « vous avez
imposé », «vous vous apprêtez», « vous avez élargi
l’UE ».
Avec le temps
composé, elle fait le bilan de l’action passée et avec le « vous »,
elle pointe du doigt un coupable. Mais ce coupable est indistinct et son interlocuteur, Alain Lamassoure,
tête de liste UMP aux européennes, n’a pas manqué de le relever en lui
demandant de façon faussement naïve : « Vous vous adressez à
qui ? ».
En fait, comme
d’habitude, Marine Le Pen associe l’UMP et le PS avec une expression qu’elle répète
deux fois : «l’UMP et le PS, main dans la main» ou avec la
coordination « l’UMP et le PS ». Le tête de liste UMP aux européennes
n’a pas manqué de souligner les absences de Marine Le Pen à l’Assemblée européenne,
ce qui soulignerait qu’elle ne s’est pas
opposée aux projets des députés UMP et PS...
3. Des énumérations fleuve : la
sortie de l’euro comme réponse à tous les maux… de la France.
En outre, pour
Marine Le Pen, la solution à la crise française est simple : sortir de
l’euro. L’énumération, doublée de la répétition,
lui permet d’en faire le remède magique.
Tout d’abord, elle
met « la monnaie unique » en position sujet repris par le pronom
« qui » répété cinq fois : «qui a été une erreur absolue,
qui a poussé aux délocalisations de nos entreprises, qui a désindustrialisé notre
pays (…), qui est la raison de l’aggravation spectaculaire de nos
déficits». L’accumulation privilégie la quantité plutôt que l’analyse du
propos.
On retrouve le
même procédé avec les raisons pour lesquelles il faut sortir de l’euro :
« car il faut relancer l’économie, car il faut relancer l’emploi (…), car
il faut créer de la richesse ». Et elle défend de la même manière le
retour au franc : « parce que ça a toujours fonctionné comme ça, (…)
parce que notre monnaie sera adaptée à notre économie, à notre emploi, parce
que nous allons relancer les exportations, parce que nous ferons du patriotisme
économique, parce que nous mettrons en place un protectionnisme
intelligent ».
On est bien
davantage marqué par la quantité des « car » ou
« parce que » que par le contenu réel du propos de Marine Le
Pen. L’accumulation souligne la multiplicité des raisons pour lesquelles il
faut sortir de l’euro selon elle mais la lourdeur de la répétition traduit sa
stratégie : la quantité plutôt que la qualité.
Et puis, bien sûr,
on est sensible au glissement sémantique : on passe de la
« monnaie » française, au «patriotisme économique» et au
«protectionnisme intelligent » de la France. Il y a là un double
glissement : i) de l’Europe à la France ; ii) de la monnaie au
protectionnisme. Ce glissement traduit le néant du projet de Marine Le Pen pour
l’Europe, lequel se réduit au repli de la France sur elle-même.
On ne peut s’empêcher de relier cela à une
autre idée énoncée un peu plus tôt : « je suis clairement pour faire
des économies notamment sur l’immigration vous le savez, dont je considère que
le coût est considérable ».
Le projet de Marine Le Pen pour l’Europe, c’est donc
un repli de la France franco-française sur elle-même.
Article à paraître en juin dans la revue de Paul Ariès, les Z'indignés (http://www.les-indignes-revue.fr)
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