jeudi 26 janvier 2012

Marine Le Pen à Metz le 11 décembre 2011. Amalgame n°1 : le parti socialiste, c’est la gauche

Si on pouvait penser que Marine n’est pas Jean-Marie, si on nous le dit, si elle tente de nous le montrer, elle se trahit parfois. Sautons sur l’occasion. A Metz le 11 décembre 2011, où elle s’exprimait contre le droit de vote des étrangers, Marine, c’était du grand Jean-Marie. Au programme : du « tous pourris » et les « étrangers qui prennent le pain des français ». 100% pur jus.

Amalgame n°1 : le parti socialiste, c’est la gauche.

Lors du discours de Metz, une des marques de l’amalgame que fait Marine Le Pen sur les partis politiques se traduit, pardon de le dire, par une faute de syntaxe.
Et oui, disons-le franchement, Marine Le Pen a du mal à employer les pronoms.

Quand elle dit que « le parti socialiste, la seule chose qui les intéresse, c’est d’accorder des droits supplémentaires aux étrangers », il y a un problème : « parti socialiste » c’est singulier, alors que le pronom « les » (qui est censé le reprendre), c’est du pluriel. Ce n’est pas une faute absurde, non, parce qu’un « parti », ça contient plusieurs personnes. On peut faire cette faute parfois. Ça arrive. Ce qui est étonnant, c’est que c’est récurrent chez Marine le Pen.
Elle dit plus loin : « Il y a une cause beaucoup plus cynique à leur démarche. C’est que le parti socialiste, heureusement, a été abandonné par le peuple français ». En général, « leur » est employé quand il y a une chose qui est possédée par plusieurs. Or ce plusieurs, à nouveau, c’est un singulier : le Parti Socialiste. C’est encore le même principe que précédemment: un parti est composé de plusieurs personnes. C’est pour cette raison qu’elle emploie « leur » et non « lui ». Il y a une logique même si cela ne respecte pas la syntaxe.
Et puis, elle passe du PS au « nous » : « Le PS se dit mais comment allons nous nous faire élire demain ? Comment allons-nous conserver nos mairies ? ». C’est encore la même logique : le PS qui utilise « nous » pour parler de lui-même comme s'il était plusieurs.
Avec tout ça, c’est clair. Pour Marine le Pen, le PS, c’est à la fois un singulier et un pluriel : ce qu’elle voit dans le Parti socialiste, c’est un groupe indistinct de personnes. Et il est tellement indistinct ce groupe, qu’au bout d’un moment il devient un « on », plus loin quand elle fait parler le PS : « et bien on va essayer de se trouver un nouveau socle électoral ». Le « on », c’est un pronom personnel indéfini : ce n’est ni tout à fait quelqu’un, ni tout à fait personne. Du flou, de l’indistinct. Du méconnaissable. On met tout dans le même sac et on secoue. Et dix qui font cent ! Comme chez le primeur pour des patates ou des carottes (ou les deux à la fois).
Et puis, quitte à mélanger, elle passe du « parti socialiste » à « la gauche » : « Les classes populaires, les travailleurs, les classes moyennes, les retraités (vous avez raison) ont compris que la gauche les avait trahis, alors ils se sont détournés du parti socialiste ».
Or, il faut quand même souligner qu’entre la gauche et le parti socialiste, il y a le même lien qu’entre le mot « fruit » et « banane » ou entre « métal» et « aluminium » : le Parti Socialiste, ce n’est pas la gauche, ce n’en est qu’une partie.
Dire que si la gauche nous a  trahis on se détourne du PS, c’est comme dire que puisque je n’aime pas les fruits alors je ne mange plus de fraises… mais je peux continuer à manger des pommes, des poires (et des scoubidous). En bref, en toute logique, si la gauche nous a trahis, on se détourne de la gauche, c’est-à-dire du PS mais aussi des autres partis de gauche. Mais dans le discours de Marine Le Pen, c’est comme si la gauche était le PS (ou bien le PS était la gauche).
Et puis, ajoutons qu’on peut être contre le Parti Socialiste sans être contre l’ensemble de la gauche (on peut ne pas aimer les bananes, mais aimer les pommes).

En gros, Marine Le Pen fait ce qui s’appelle un amalgame. Le « tous pourri » qu’on attend du FN et qu’elle nous a servi à Metz le 11 décembre 2011.

mercredi 11 janvier 2012

Volet « Immigration » du programme du frontiste: Des hommes et des chiffres (en milliards d’euros)


Ce qui est tout à fait remarquable dans le chapitre sur l’immigration du FN, c’est l’importance des chiffres.

 Quels chiffres ? C’est surtout cette question qui est intéressante. Au FN, on assimile systématiquement et exclusivement le chiffre qui décrit le nombre d’immigrants au coût qu’ils sont censés représenter. Et inversement, pour les migrants qui retournent dans leur pays d’origine, on associe un « gain ».
Tout d’abord, dans les constats qu’il fait, le FN produit une liste de chiffres choc : « 6 millions: c’est le nombre des nouveaux résidents installés en France depuis 20 ans ».
Le présentatif « c’est le », insiste sur la quantité et pose le chiffre comme quelque chose d’admis (même s’il conteste le chiffre de l’INSEE) : le chiffre existe, voilà ce que je vais vous en dire. Ce présentatif produit un effet d’attente accentué par les deux points. On part d’une quantité en millions, c’est-à-dire énorme, et à cette énormité, on associe une quantité d’immigrants. L’effet produit, c’est la peur…
Et dans la même liste, comme quand on va au super marché et qu’on a noté qu’on doit acheter des carottes et du papier toilette, on passe d’une liste de migrants à une liste de coûts : celui du « déficit annuel dû à l’immigration » (rapport Milloz), celui du « coût annuel de l’Aide médicale d’État (AME) réservée aux étrangers en situation illégale ».

Donc, on met dans une même liste, l’immigration et l’argent dépensé.  Premièrement, cela induit que l’immigration fait perdre de l’argent à la France. Mais on l’induit de façon purement visuelle et non logique car la liste n’est pas logique, non, elle est spatiale : on met les éléments les uns en dessous des autres grâce à des tirets. Et puis le « déficit annuel dû à l’immigration », ça correspond à quoi ? Aux sous traitants qui, même dans le service public, font faire les basses besognes aux immigrés ? Aux impôts que les immigrés paient en travaillant en France et en cotisant pour une répartition sociale dont on veut les exclure?
Deuxièmement, on assimile l’immigration aux « étrangers en situation illégale », ce qui est comme la margarine pour le beurre: ça ressemble à du beurre, mais ce n’est pas du beurre, ou le beurre du pauvre et des gens qui soignent leur cholestérol. En gros, faut-il le dire ? Ce n’est pas parce qu’on est immigré qu’on est situation illégale.
La liste fonctionne à contre courant de la logique, c’est-à-dire bêêêêêtement…

Bon, outre les coûts de l’immigration, il y a pour le FN, cela s’entend, les « gains » permis par la politique de retours… et oui, parce que renvoyer les immigrés, ça rapporte, et gros.
Comment ça marche ? C’est simple.
La première mesure, c’est « Mettre en œuvre une politique de dissuasion ». On n’entre pas dans le détail ici, on passe le paragraphe sur les « pompes aspirantes » où le FN décrit les immigrés qui profitent des prestations sociales, et on arrive tout de suite à quelque chose qui apparaît en rouge : « Gain estimé : 18,5 milliards d’euros ». On ne fait pas de phrase ici. Il n’y a pas de verbe conjugué. Et puis il n’y a pas non plus de lien logique, lequel est remplacé par les deux points : inutile d’expliquer selon le FN, le lien entre la politique de dissuasion et le gain qu’elle permet semble une évidence. D’ailleurs les deux points équivalent ici au signe mathématique « égal ».
Par ailleurs, outre le fait qu’on ne sait pas à quoi correspond ce chiffre, faut-il préciser qu’il est choquant (car inhumain) de réduire la rudesse de la mesure à une addition (son résultat en l’occurrence) ? Toute la réalité des fermetures des frontières et du protectionnisme est masquée sous un rapport purement mathématique…
 C’est pareil pour la « politique de retour » dont le « gain estimé » est de « 9 à 11 milliard d’euros », en gros à la louche, comme ça. Que met-on concrètement derrière la « politique de retour » ? Peu importe ! Ça rapporte !
En gros, on évacue l’aspect humain de telles mesures, et surtout leur brutalité, pour s’en tenir à l’aspect comptable, qui de surcroît envisage un gain : tout est bon pour le profit. L’humain est remplacé par une addition ou une soustraction. Go ! go ! go !

vendredi 6 janvier 2012

Un programme d'amour et d'argent (volet « Immigration » du programme du frontiste)


Un programme d’amour et d’argent…
Bien évidemment, tous ces constats amènent à l’exposé de mesures, au nombre de 5, dont ne reprendra pas la liste, parce qu’on n’est pas là pour faire la propagande de Marine. Ce sont des mesures dont on cache bien évidemment la brutalité.
…Vous avez dit « codéveloppement » ?
Les mesures s’énoncent sous la forme d’une liste de verbes à l’infinitif (à deux exceptions près). Et, chose étonnante parce qu’elle semble altruiste, le numéro 4 de la liste est « Mettre en œuvre une politique de codéveloppement ». Ça sonne presque comme de l’alter-mondialisme. C’est vrai ça, le préfixe « co » dans « codéveloppement » souligne qu’on envisage d’agir avec l’autre (comme dans « cohabiter » par exemple au hasard). Et puis, « mettre en œuvre » décrit une action dans un processus actif. C’est presque boy-scout… autant dire suspect.
Et en effet, en quoi consiste cette politique de « codéveloppement » ? Tout d’abord, il s’agit de « Coupler le retour des immigrés avec l’aide à leur pays d’origine, proportionnelle à leur coopération en la matière ».  La rhétorique (Port-Royal et autres…) dit – en très gros- qu’on met en première position ce qui est admis, ce dont on parle et sur quoi on ne revient pas, et en deuxième position l’information nouvelle, celle qu’on retient aussi. Tout tourne autour du mot « avec ». Ce qui est en deuxième : l’aide qu’on donne au pays d’origine des immigrés. Quel humanisme au Front National…. Ça c’est sûr, au Front, on a le souci de l’autre, et même de l’étranger.
Mais… et c’est là que les bactéries attaquent encore, qu’est-ce qui est en première position ? « Le retour des immigrés ». En gros, ce qui est admis, ce sur quoi on ne revient et qui ne nécessite pas de débat, c’est le retour des immigrés dans leur pays d’origine.
Mais alors, quid de l’aide internationale et du « codéveloppement » ? En clair : plus un pays aide la France à renvoyer ses étrangers, plus on l’aide. Cette phrase c’est :  « blablablabla le retour des immigrés blablabla ».

La deuxième manière de « Mettre en œuvre une politique de codéveloppement », c’est un paquet de mots incompréhensibles : « Prendre l’initiative d’organiser régulièrement une conférence euro-africaine réunissant les pays concernés afin de déterminer les besoins et de mettre en œuvre les moyens destinés à fixer les populations attirées par les richesses de l’Europe, dans leurs pays d’origine ».
Bon, notons d’abord que ce n’est pas « organiser », mais « prendre l’initiative d’organiser » : on veut bien être actif mais pas trop.
Mais surtout, la phrase est longue, donc suspecte : on noie le poisson, on masque. Mais quoi ? Où est l’information principale ici ? Celle qui vient en deuxième, en dernier, le complément du verbe « organiser » ? on a une « conférence » mais pour quoi faire ? Pour « déterminer les besoins », et « mettre en œuvre les moyens », mais les moyens pour quoi faire ? Et c’est là que l’information essentielle arrive, c’est-à-dire après 3 lignes de bla bla : « fixer les populations (…) dans leur pays d’origine ». Pour le dire à la Coluche : « Dis-moi combien tu as besoin de moi, je t’apprendrai à rester dans ta mouïse ».

En gros, le « codéveloppement » du FN c’est « Retourne dans ton pays mais surtout «restes-y » !».

Des oppositions pour créer le clivage (volet "immigration" du programme FN)


Belles paroles pour discours haineux : être raciste, ça se dit comme ça…

… Par des oppositions
Faire peur par des images fortes, ou bien créer les antagonismes par des oppositions, on pratique beaucoup au FN.
 On le voit dans le travail des étrangers : « Cette immigration est poussée par le grand patronat pour qui elle est une délocalisation à domicile qui lui permet de compresser les coûts salariaux de l’humain et des chiffres ».
« La délocalisation à domicile », si ce n’est de l’oxymore (la cohabitation de deux idées incompatibles sur le plan sémantique), c’est du moins une belle opposition. A quoi sert-elle ? À souligner qu’il se passe chez nous, sur notre territoire des choses, qui nous révolte ailleurs : le vol du travail des français par la main d’œuvre à bas prix et sans lois sociales.
C’est du « les étrangers qui nous enlèvent le pain de la bouche » en moins populiste. Un vieux poncif raciste mais vu sous un angle quasi scientifique puisqu’on envisage, sur le plan mathématique, la façon de « compresser les coûts salariaux ». Une petite opposition, un brin de mathématique et abracadabra, on n’est pas raciste : on se fie aux données comptables.
On retrouve le même principe plus loin dans le laïus sur l’immigration : « Aujourd’hui, les Français s’endettent pour financer des prestations sociales visant à répondre à la « misère du monde ».
Comment opère la magie du racisme propre dans cette phrase ? On a un verbe : « s’endettent ». Quel en est le sujet ? « Les Français » (avec une majuscule, parce que être Français, c’est presque un nom propre). Mais, et c’est là que les bactéries attaquent, où est le complément ? Le complément ne concerne pas du tout les « Français » puisqu’il s’agit de « la misère du monde » (et là, il n’y a pas de majuscule à « monde »). Il y a donc une opposition entre d’une part  « les Français », qui sont en nombre défini, si ce n’est fini, et la quantité immense et en augmentation perpétuelle du « monde ». D’où la panique…
Et puis, bien sûr, « la misère du monde » est mise entre guillemets parce que le Front National ne peut pas tout à fait assumer une expression aussi éculée et galvaudée. Il y en aurait eu d’autres à employer, moins quantitativement visuelle comme « la détresse des autres » ou bien « la solidarité planétaire » (mais là c’était marqué, accordons-le). Non, ce qui est utilisé, c’est « misère du monde ». Pourquoi ? Parce que c’est une expression qui galvaude cette misère (et partant, la dénigre). Elle est tellement répandue et profonde que d’une part on n’y peut rien, et d’autre part, chez les autres elle est acceptable tant qu’on ne vient pas nous la mettre sous le nez : « chacun sa merde » disons-le franchement.
C’est vrai que la « misère du monde » c’est vaste… Est-ce qu’on va devoir intervenir pour empêcher les afghanes d’épouser ceux qui les violent ? Pour nourrir la corne de l’Est africain ? Pour accueillir les exilés politiques des printemps arabes ? Faut pas déconner ! On est français nous, monsieur !
Et ben justement, tiens, pourquoi pas…

Des termes techniques pour être présentable (volet "immigration du programme du FN)


Belles paroles pour discours haineux : être raciste, ça se dit comme ça…
… en employant des termes techniques

L’autre magie des mots, c’est d’utiliser un registre différent de celui qu’on attend. Le racisme, ce n’est pas forcément un discours de l’émotion (et plus particulièrement de la haine), mais un discours technique (de techniques migratoires). Et tout à coup, et bien, ça passe mieux. Et oui, parce qu’on n’est plus dans du ressenti ni même du subjectif, mais dans de la description purement objective…
C’est le cas quand le programme constate « L’ampleur des phénomènes induits par cette politique (celle qui laisse enfler l’immigration ndlr) et l’accélération constatée ces dernières années ». De quoi parle-t-on dans l’ « ampleur des phénomènes induits » ? De l'arrivée des immigrés en France bien sûr, mais on ne dit ni le mot « étranger » ni celui « d’immigrés » (ni tous les termes racistes qui leur correspondent). Et du coup, sur un malentendu, éventuellement, on pourrait parler des pommes de terre ou de la fréquentation des cinémas, ce serait pareil (avec les mêmes termes).

Même travail rhétorique lorsque que le FN précise que « la seule affinité (des immigrés, ndlr) avec notre pays se limite aux avantages matériels qu’il leur procure ». « Affinité » ? Ce n’est pas technique, ça, non. En revanche, c’est soutenu. On aurait pu dire -surtout dans ce contexte- « intérêt » ou  « avantage ». Mais ça aurait été partisan, et beaucoup moins élégant, parce qu’au FN, on appelle à la stigmatisation des immigrés -oui, résolument- mais avec élégance. On retrouve les termes techniques plus loin avec les « avantages matériels ». Là, le registre de langue est économique et pas subjectif ni explicitement haineux. Mais dis-le clairement, Marine, « Tout ce qu’ils veulent, les bougnouls et les bamboulas, c’est manger le pain des français ! ».
Mais le meilleur arrive : « La mise en œuvre d’une politique réaliste d’inversion des flux migratoires demeure pour le Front National une priorité comme doit l’être, (…)  la mise en œuvre d’une nécessaire politique d’assimilation de ceux qui respectent nos lois et nos coutumes(…) ». Revoilà les « flux migratoires » qui placent le discours entre la chimie et la géographie, mais en tous cas, pas dans l’émotion de la peur, ni de la haine de l’étranger. Et puis, il s’agit d’appliquer «une politique réaliste d’inversion » de ces flux. Trois mots (de registre soutenu) pour un seul : arrêt. Le détour comme moyen de noyer le poisson. Qui a dit qu’être raciste c’est haïr ? Etre raciste, au Front National, c’est être un technicien de « flux », comme les femmes de ménage sont « techniciennes de surface ».
Et puis, bon, « l’assimilation ». C’est technique aussi parce que le suffixe « -tion » décrit un processus dans tous les domaines comme dans « dégradation » (le processus de dégrader), « immigration » (le processus de migrer) ou « masturbation » (le processus de masturber). Or, l’assimilation, ce n’est pas « l’intégration », autre terme technique qui décrit un autre processus (le fait d’intégrer ou de s’intégrer et non pas de s’assimiler ou d’assimiler). C’est pas tout à fait pareil, on l’a souvent dit… Rappelons que, si on demande à Alain Rey ce qu’il en pense, la différence est claire : « assimiler » c’est « rendre semblable », alors qu’ « intégrer », c’est « incorporer dans un groupe ». Quelque chose comme accepter l’autre tel qu’il est.

Un discours imagé (volet " immigration" du programme FN)

Belles paroles pour discours haineux : être raciste, ça se dit comme ça…
… par de belles comparaisons

Faire du novateur, de l’anti conventionnel, voire du révolutionnaire avec du raciste, bref, quelque chose de bien avec quelque chose qui ne s’assume pas,  ça passe par des métaphores.
Quand le FN dit que « Le mur du silence et du mensonge se fissure », il en fait une belle. Celle-ci compare le fait de ne pas penser que l’immigration est un sujet « central » à quelque chose de solide, fait de briques, voire de béton, qui nous enferme et qui a été construit par quelqu’un (oui, parce qu’un mur, ça ne pousse pas tout seul dans la nature).
Cette image insinue donc l’idée que quelqu’un (qui ?) a construit une impossibilité majeure à aborder le sujet de l’immigration, aussi dure et opaque qu’un mur. Elle dit aussi que qui ne pense pas tout le temps à l’immigration comme problème majeur est emmuré (si ce n’est borné). Et le Front National vient « fissurer » ce mur pour nous… L’imaginaire collectif renvoie spontanément au Mur de Berlin courageusement brisé par les révoltes allemandes pour ouvrir l’Allemagne de l’Est à l’Occident. Il y a d’autres murs en Palestine aussi…
Bref, grâce au FN, on est « désemmuré » parce qu’on parle enfin de l’immigration. Merci, Marine…
On peut aussi cependant penser au grand méchant loup des trois petits cochons, qui s’essouffle devant la brique. Et puis enfin, on a le droit de considérer qu’on n’est pas emmuré quand on ne pense pas que l’immigration est le problème majeur de la France. Au choix…

Un message flouté (volet « Immigration » du programme du frontiste)


Marine n’est pas Jean-Marie, on l’aura compris. Mais le Front National reste le Front National, même s’il s’affiche comme un parti présentable qui se défend même d’être un extrême.
Alors,  comment parler d’immigration quand on est raciste et qu’on ne veut pas le dire ? Comment faire croire qu’on n’est pas extrême ?
Pratique du détour et de l’euphémisme, des raccourcis et des belles images : analyse stylistique du programme du FN et plus particulièrement du volet « immigration »…

Floutage de l’information…


Bien évidemment, une des manières de faire propre est de noyer le poisson.


…Phrases longues pour slogans masqués


Dans cette perspective, une des caractéristiques du discours du Front National, c’est la longueur des phrases. Pourquoi faire de longues phrases ? Bien sûr, pour montrer que, comme on utilise la syntaxe, on est civilisé, ça c’est le point de départ. Mais aussi, en faisant de longues phrases, on masque le ton réel de ce qui est dit.
Il ne s’agit pas ici de tout reprendre parce que ce serait fastidieux. Regardons juste un exemple de phrase où, en accumulant des informations secondaires on cache un slogan raciste : « À l’origine de la plupart des maux dont souffre notre pays, la politique d’immigration menée depuis plus de trente ans par les gouvernements successifs a été constamment dénoncée par le Front National qui, dès sa création, a proposé toute une série de mesures qui n’ont en aucune manière cessé d’être d’actualité, et constituent l’un des fondamentaux de notre projet global ».
C’est une phrase de 4 lignes, 66 mots. C’est long. Or, l’attention s’arrête à 1 ligne et demie (en gros 25 mots) c’est-à-dire : « À l’origine de la plupart des maux dont souffre notre pays, la politique d’immigration menée depuis plus de trente ans». La phrase sonne donc comme un slogan qui se cache. La messe est dite. On pourrait arrêter la lecture ici. Mais non, la phrase continue...

L’apposition « dès sa création » dans « le Front National qui, dès sa création, a proposé toute une série de mesures » retarde l’information. Si l’apposition se situe à cet endroit, c’est-à-dire entre le sujet et le verbe, c’est pour souligner que le FN se définit intrinsèquement comme un parti qui lutte contre l’immigration et les étrangers.  En même temps, on a déjà perdu le fil de la phrase… alors bon… Passons également sur les deux propositions relatives qui ne servent qu’à faire du beau verbe puisque ce qui est subordonné, en syntaxe, ça s’enlève, c’est du secondaire.
Ce qu’on retient donc de cette phrase, c’est que le problème de la France selon le FN, c’est l’immigration. Que dit le reste ? on s’en fiche, on peut l’enlever et puis la phrase excède la ligne et demie : notre attention est perdue, l’information est rendue floue par la longueur. C’est exprès pour retenir la première ligne et demie comme un slogan, mais ne pas faire de vrai slogan pour paraître plus raffiné.