Marine
Le Pen a commenté le 25 août dernier la démission du gouvernement de Manuel
Valls. Dans son communiqué, sous couvert de commenter une actualité politique
ponctuelle, elle livre une charge à toute une classe politique au-dessus de
laquelle elle se positionne avec distance.
1)
Un
discours à la troisième personne… ou presque.
Marine Le Pen, dans son communiqué du 25
août 2014 ne s’inscrit pas dans un champ polémique mais dans ce qui se veut
comme une analyse apparemment froide et distante de la situation politique
actuelle.
En effet, si l’on regarde qui fait l’action
des verbes, il ne s’agit quasiment jamais de personnes nommément désignées. Il
y a ainsi « le gouvernement » ou « le prochain
gouvernement » et même « le pouvoir » qui évite de façon
évidente de nommer qui que ce soit. Il s’agit en outre de termes singuliers à
valeur plurielle, ce qui crée un groupe indistinct et anonyme. Marine Le Pen
passe même par une tournure impersonnelle lorsqu’elle préconise qu’« il
est plus que jamais nécessaire de redonner la parole aux Français». La
tournure impersonnelle n’implique ni ne vise personne. L’expression est neutre.
Elle
ne mentionne qu’une seule fois Manuel Valls, mais dans un complément du nom, à
travers « La démission du gouvernement Valls ». Il n’est alors pas
sujet du verbe et le noyau du groupe est « la démission ». C’est une
façon de le remettre à sa place : Manuel Valls n’est pas le sujet. Elle
commente seulement son action, « la démission » de son gouvernement.
Mais elle
l’attaque aussi en lui enlevant tout titre (« Monsieur Valls » par
exemple ou tout simplement « Manuel Valls »). Il en va de même plus
loin avec « l’incapacité du Premier ministre et du président de la
République à obtenir le soutien de leur propre camp ». Il est tout à fait notable qu’elle évite de
nommer ici Manuel Valls et François Hollande qui sont à nouveau en position de
complément du nom, c’est à dire des groupes accessoires, que l’on peut enlever.
Ce qu’elle commente, c’est leur « incapacité » mais pas eux directement.
Il y a clairement une volonté de mise à distance. On pourrait aussi relever la
majuscule à « Premier » ministre et la minuscule à
« président »… Comme marque de mépris peut-être.
Marine
Le Pen évite donc soigneusement
la polémique. Son discours se veut neutre, dans l’analyse plutôt que dans
l’attaque. Elle livre bien une charge contre Manuel Valls et François Hollande,
mais de manière détournée. Elle
se met ainsi au-dessus de la mêlée à travers une expression neutre.
En revanche, elle s’implique elle-même deux
fois, de façon manifeste, lorsqu’elle évoque « nos compatriotes » et
« notre pays ». Ici, grâce aux possessifs
« nos » et « notre », elle se met clairement du côté des
français, contre le pouvoir évoqué à la troisième personne.
2) Des généralisations pour
attaquer toute la classe politique.
En
outre, si le communiqué semble concerner la démission du « gouvernement
Valls », Marine Le Pen n’utilise ce sujet que pour mieux attaquer la
classe politique dans son intégralité.
Lorsqu’elle
déclare que « Le prochain gouvernement, dirigé par les mêmes hommes,
restera à l’image des précédents », elle met entre virgules (en apposition)
« dirigé par les mêmes hommes ». L’effet produit est de mettre en
exergue la similitude entre ce qui normalement appellerait un changement,
c’est-à-dire le passage du « précédent » au « prochain » :
on peut passer d’un politique à un autre, ça ne changera rien selon elle.
Il
en va de même lorsqu’elle assène que « De
l’UMP au PS les gouvernements se succèdent mais les politiques ne changent pas ».
La préposition « de », dans « De
l’UMP au PS », présente sa valeur étymologique d’origine : elle
exprime le point de départ et « au » le point d’arrivée. Ces prépositions
créent un spectre spatial large, pour généraliser le discours à toute la
politique : on part de l’un pour arriver à l’autre, en passant par tous
les autres. Et le résultat est le même. C’est l’amalgame habituel du Front
National. Il ne s’agit pas seulement de François Hollande ou de Manuel Valls,
mais de toute la classe politique, tout parti confondu.
Dans
la même idée, la conjonction « mais » souligne une opposition entre
« se succéder » et « ne pas changer ». Elle induit bien sûr
que tout personnage politique, à part elle, se vaut. D’ailleurs, la valeur du
présent ici est de désigner une réalité large. Ce n’est pas un présent
d’énonciation qui coïnciderait exclusivement à la démission du « gouvernement
Valls », qu’elle fait semblant d’évoquer. Ce présent décrit quelque chose
qui existe depuis plus longtemps et qui n’est pas limité dans le temps (c’est
la valeur aspectuelle non sécante du présent). C’est donc une situation
politique qui dure depuis longtemps selon elle, et qui ne risque pas de
changer.
3)
Un discours qui accable.
Une
fois s’être exclue de la classe politique présentée comme compacte et
résolument homogène, Marine Le Pen peut livrer sa charge.
C’est
tout d’abord l’effet d’accumulation qui marque son attaque notamment
lorsqu’elle évoque la « démonstration de la désunion de la majorité
socialiste et de l’incapacité du Premier ministre et du président de la
République à obtenir le soutien de leur propre camp ». Ici,
elle imbrique les compléments du nom
« démonstration », ce qui crée une succession des « de la »
et « du ». Cela crée un effet de
masse et multiplie les reproches à l’égard du gouvernement.
L’effet
d’accumulation est le même lorsqu’elle juge que les changements ministériels
constituent « un spectacle affligeant qui accroît légitimement l’inquiétude des
Français quant à l’avenir de la France ». Ici, le « spectacle »
est doublement qualifié, non seulement par un terme profondément péjoratif,
« affligeant », mais aussi par une proposition relative (ce qui
commence par « qui »), laquelle met en avant un terme négatif,
l’ « inquiétude » des français. Cette double qualification
accentue ainsi la charge portée contre le gouvernement en créant un effet
d’accumulation, négative de surcroît.
Il est par ailleurs intéressant de
noter qu’elle stigmatise la « désunion » et
l’ « incapacité » qui sont deux noms à préfixes privatifs (dé-
et in-) et qui nient les qualités d’ « union » et de
« capacité ». Elle souligne donc un double manque. Il en va de même
plus tard avec le « déclassement » provoqué selon elle par les
politiques gouvernementales. À nouveau, elle emploie un préfixe privatif pour
décrire la politique actuelle et souligne un manque.
Elle utilise encore des termes négatifs
lorsqu’elle annonce que « D’échecs en échecs,
les mêmes hommes issus d’un même système, profondément francosceptique, mènent
notre pays sur les voies du déclassement. ». On retrouve la préposition
« de », dans « D’échecs en
échecs », avec le sens de l’origine : on part de l’un pour arriver à
l’autre à travers un parcours qui va… du négatif au négatif. L’échec apparaît ainsi
comme seule alternative. Marine Le Pen recourt en outre à un néologisme,
le terme «francosceptique », calqué sur
l’adjectif « eurosceptique » qu’on accole généralement au Front
National pour insinuer de manière indirecte la question nationale.
Son attaque se fait par ailleurs à travers
« la valse des ministres » qui est
une métaphore burlesque. Il s’agit de ridiculiser le jeu politique actuel dans
lequel précisément, avec son discours à la 3ème personne, elle ne
s’inclut pas.
En somme, à travers ce communiqué, Marine Le Pen se veut dans l’analyse
beaucoup plus que dans la polémique. Elle cherche à se mettre au-dessus de la
mêlée et livre son attaque à toute la classe politique dont elle se met à part.
Elle se positionne ainsi du côté des français, en marge d’ « hommes
politiques » qui sont des « techniciens ».
SI on veut lire le communiqué:
http://www.frontnational.com/2014/08/reaction-de-marine-le-pen-a-la-vraie-fausse-demission-du-gouvernement-valls/
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